(tiré de l’article de Luc Adrian paru dans Famille Chrétienne le 27/03/2010)

Devenu Joseph par son baptême, ce chiite irakien réfugié en France avec sa famille publie le récit incroyable de sa conversion au christianisme en terre d’islam. Un témoignage de courage dans la foi précieusement recueilli à l’orée de la Semaine Sainte.

Comment le chiite que vous étiez s’est-il converti au christianisme ?

Grâce à la rencontre d’un chrétien durant mon service militaire. C’était à Bassorah (Irak) en 1987. J’avais 23 ans. Cohabiter avec un chien de chrétien était une épreuve abominable pour un Moussaoui – ma famille descend directement du Prophète –, mais je ne pouvais y échapper, mon père n’ayant pas encore réussi à corrompre le chef d’état major.

J’ai d’abord méprisé ce Massoud, cet agriculteur de 44 ans. Puis il m’a peu à peu apprivoisé par son écoute et sa bienveillance. J’ai voulu le convertir à l’islam : il fallait le tirer de son erreur. Prudemment – il ne pouvait pas parler de sa foi sans risquer la mort – il m’a renvoyé à ma propre religion : « Est-ce que tu as vraiment lu le Coran ? As-tu compris le sens de chaque mot, de chaque verset ? » m’a-t-il demandé un jour. J’ai rougi de confusion. Les imams nous expliquent que c’est la lecture du Coran de bout en bout qui sera récompensée au jour du jugement, bien plus que la compréhension du texte. J’ai profité d’une permission à la maison pour m’y plonger. C’est là que mes ennuis ont commencé…

 

Vos « ennuis », dites-vous ?

Dès que j’ai abordé la deuxième sourate, j’ai buté quasiment sur tous les versets. Je ne comprenais pas pourquoi Allah s’abaissait à définir les règles de la répudiation, les délais… Je ne saisissais pas l’insistance du Coran sur la supériorité et le pouvoir des hommes sur les femmes, considérées comme des inférieures, possédant la moitié du cerveau d’un homme, etc.

Je suis allé consulter un imam, ami de la famille, en lui soumettant certaines de mes difficultés comme cette sourate (2, 223) : « Vos femmes sont un champ de labour pour vous, allez-y comme vous l’entendez » – ce qui signifie que les hommes peuvent faire d’elles ce qu’ils veulent, y compris sexuellement ! Il m’a répondu qu’un homme peut faire l’amour n’importe où sauf à la mosquée, n’importe quand, sauf pendant le Ramadan, et de n’importe quelle manière… Devant mon air sceptique, il m’a conseillé de me plonger dans la vie du Prophète.

Et vous vous êtes vraiment plongé dans la vie de Mahomet ?

Oui. Mais là encore, je suis bien obligé de déchanter quand je lis que Mahomet s’est marié avec une fille de 7 ans, Aisha, ou encore qu’après avoir marié son fils adoptif Zaïd, il prend la femme de celui-ci, sa belle-fille, pour en faire sa septième épouse. Bref, après plusieurs jours de réflexion intense, le comportement et la vie du Prophète ne me paraissaient pas exemplaires.

Votre foi vacille ?

Je crois toujours en Allah, dont la bonté est plus grande que tout, mais je commence à douter que le Coran soit sa parole. Sur quoi puis-je fonder ma vie si l’islam n’en est pas le pilier ? Je suis effondré. Et humilié car je sais que dans ces conditions, je n’ai aucune chance de convaincre Massoud. Or, en digne représentant des Moussaoui, j’ai horreur de perdre la face. Aussi, pour sauver l’honneur, je vais essayer de persuader Massoud que sa religion est également un leurre.


Vous pensez donc à ébranler la foi de Massoud, le chrétien ?

Massoud est parti en permission. Cette nuit là, je fais un rêve – et pour la première fois de ma vie, je m’en souviens – : je tente de traverser un ruisseau, en vain, lorsqu’un homme très beau, sur l’autre rive, me tend la main en disant : « pour franchir le ruisseau, il faut que tu manges le pain de vie. » Cette phrase m’est incompréhensible.
Sur ce, Massoud rentre de permission et me tend un livre : « Voici l’Évangile ». Ne suivant pas son conseil, j’entame immédiatement l’Evangile de saint Jean, le plus ardu selon lui. Absorbé par l’ouvrage, j’en oublie même de déjeuner. Arrivé au chapitre 6, je m’arrête, abasourdi : je viens de lire exactement ces mots entendus il y a quelques heures dans mon rêve : « le pain de vie ». Je relis lentement : « Je suis le pain de vie, celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim… ».


Retrouver dans l’Évangile une phrase que vous aviez rêvée, cela change tout ?

Il se passe en moi quelque chose d’extraordinaire, comme une déflagration, une lumière qui éclaire ma vie d’une lumière totalement nouvelle, un coup de foudre. J’éprouve dans mon cœur un sentiment d’une force inouïe, une passion presque violente et amoureuse pour ce Jésus-Christ dont parlent les Évangiles. En même temps, je comprends qu’il y a dans mon rêve plus qu’un rêve : un appel, un message personnel. Je ne vais désormais plus avoir qu’un désir : pouvoir un jour manger de ce « pain de vie » même si je ne comprends pas encore très bien ce que c’est. Il me faudra attendre treize longues années.

Comment réagit Massoud lorsque vous lui confessez votre foi en Jésus ?

J’imagine qu’il va sauter de joie et m’embrasser devant cette bonne nouvelle. Pas du tout. C’est le contraire : il pâlit, son visage reste fermé, il se met à réfléchir. Je vois la peur, une peur proche de la panique, qui secoue de l’intérieur cet homme robuste. Je n’y comprends plus rien. Je viens juste de lui dire mon intention d’annoncer à ma famille ma foi nouvelle en ce Jésus-Christ quand il explose :
– Tu ne te rends pas compte ! Ils vont te tuer…
– Mais ce n’est pas possible ! Ma famille m’aime, elle ne peut pas me vouloir de mal…
– Écoute, je t’en supplie
, me dit-il. Tu mets ta vie en danger et la mienne avec. Dans ce pays, on ne peut pas changer de religion comme cela. C’est punissable de mort !

Qu’allez-vous faire ?

D’abord je comprends pourquoi, au début de notre rencontre, Massoud a semblé si réticent à me parler de sa foi, de la manière dont il la vivait. Il savait les risques qu’il prenait… Mais encore sous le feu de ma lecture toute fraîche de l’histoire tragique de Jésus, je réponds :
Le Christ aussi est mort, et ses disciples ont connu de grands dangers pour le suivre. Pourquoi ne ferais-je pas pareil après tout, si j’aime le Christ ?
– Mais le Christ ne veut pas que tu meures ! me répond-il. Si tu crois vraiment en Lui, on va prier son Esprit de nous éclairer. Et je t’en supplie à nouveau, calme ton exaltation, et jure-moi que tu ne parleras pas de tout cela quand tu renteras dans ta famille.

Je ne suis pas sûr de vraiment saisir la réalité du danger que Massoud évoque, mais je lui fais confiance : c’est le seul chrétien que je connaisse. C’est pourquoi j’acquiesce, à contrecœur. Je vais poser un voile de silence sur ce qui va constituer désormais, je le sens bien, le nouveau moteur – et le cœur – de ma vie.