Notre Seigneur Jésus-Christ nous a dit que son Père recherche des adorateurs qui L’adorent en esprit et en vérité. Il semblerait donc vrai que la prière dans le secret du cœur soit suffisante pour acquitter les devoirs religieux de l’homme envers Dieu. Sans s’opposer ni exclure cet aspect essentiel et nécessaire, de la prière, la sainte Eglise a toujours voulu honorer Dieu d’un culte public et visible.
En effet l’Eglise, qui n’est autre que Jésus-Christ répandu et communiqué (Bossuet), est le corps mystique du Christ, composé d’hommes qui sont corps et âme ; elle est une société parfaite vivant au grand jour, et dont les activités sont manifestes aux yeux de tous. Il convient que son activité suprême, le culte qu’elle rend à Dieu, soit public ; c’est ce qui se fait par la sainte liturgie. Au centre et au sommet de cette liturgie se trouve le saint sacrifice de la messe que l’Eglise offre quotidiennement à Dieu, conformément à l’ordre du Seigneur qui, au cours de la dernière Cène — qui fut la première messe — a dit à ses apôtres : Vous ferez ceci en mémoire de moi. Ce serait une erreur d’opposer ce culte public à la prière personnelle dans le cœur à cœur intime de l’âme avec le Seigneur. Il y a interaction de l’un sur l’autre : c’est à la sainte messe que la prière privée alimente sa ferveur, et cette prière prépare et accompagne notre participation fructueuse la célébration de la messe.

Deux remarques peuvent être faites ici pour conclure cette question si importante :

depuis les origines de l’Eglise, tout d’abord, la liturgie, culte public rendu à Dieu, a été le grand principe de l’unité du peuple chrétien;

mais par la suite, l’évolution de la piété personnelle a engendré vers la fin du Moyen Age le mouvement de la devotio moderna (ce qui fut le premier usage du mot moderne). Il consacrait une sorte de divorce entre piété personnelle et piété proprement liturgique.

Sans le savoir, nous sommes plus ou moins tributaires de cette cassure qui rend superficiel et malsain un débat sur la préférence pour l’une ou l’autre piété : il faut les deux, avec cet apport mutuel de l’une sur l’autre, la primauté revenant à la piété liturgique puisée principalement au Saint Sacrifice de la messe.

Dans le sacrifice de la Croix, l’expiation des fautes humaines a été parfaite et absolue ; et ce n’est pas une autre expiation qui fait l’essence du sacrifice eucharistique ; et c’est celle-là même. Comme il fallait, en effet, qu’un rite sacrificatoire accompagnât la religion dans toute la suite des temps, le plan divin du rédempteur a été que le sacrifice consommé une seule fois sur la croix devînt perpétuel et ininterrompu. La forme de cette perpétuité est celle de la très sainte Eucharistie qui ne nous présente pas seulement une vaine figure ou un souvenir, mais la réalité elle-même, quoique sous un aspect différent ; et c’est pour cela que l’efficacité de ce sacrifice, soit pour obtenir, soit pour expier, découle tout entière de la mort du Christ.

Léon XIII, Caritatis studium

Les liturgies individuelles viennent se grouper, se fondre et puiser leur sève dans la liturgie collective du grand vivant, de l’homme parfait, du Christ complet qui est l’Eglise. C’est toute la vie de l’Eglise qui s’exprime et qui s’épanouit dans sa liturgie ; toutes les relations de la création avec Dieu y trouvent leur principe et leur achèvement ; par les procédés mêmes qui réalisent en chacun et en tous l’union divine, la liturgie rend à Dieu tout honneur et toute gloire.

Dom Delatte (abbé de Solesmes), Commentaire sur la Règle de St Benoît