Nouvelle pour l’Avent

         Marie se tenait au dehors, appuyée sur la rambarde. Ses doigts se crispaient sur le bois mal dégrossi. Son regard ne pouvait se détacher du spectacle qui embrasait l’horizon. Le cœur battant, elle guettait la progression de la Menace qui rampait sur le moutonnement des collines. C’était une ondulation rouge feu, qui avançait lentement, dévorant tout sur son passage. Comme un tapis de braise dont l’orée frémissait nerveusement, grignotant mètre par mètre son territoire. Déjà elle avait absorbé le village de Vaux-en-Venil, et arrivait à la lisière des Fermes Blanches. Bientôt – dans combien de temps ? – elle serait au pied de la dernière colline où se trouvait sa maison. Et elle grimperait, inexorablement. Et alors…

Marie se détourna vivement à cette pensée. Elle pénétra chez elle et se hâta vers sa chambre. Couchée dans son lit, emmitouflée sous un paquet de couvertures, le drap supérieur à la base du nez, une fillette laissait à peine apparaître un visage dont on devinait la face blême de fièvre. À l’entrée de sa mère elle tourna brusquement la tête.

–        Maman, j’ai froid.

–        Ma chérie, tu as de la fièvre, c’est pour ça que tu as froid. Si je te mets une couverture de plus, la fièvre va encore monter.

La fillette ne répondit rien et eut seulement un petit mouvement nerveux avant de s’enfoncer un peu plus dans son lit.

Marie s’assit près du lit et doucement caressa la tête de l’enfant. Le front était brûlant. Elle ramena en arrière quelques mèches de cheveux humides et se pencha pour l’embrasser mais à ce moment la fillette se tourna et les lèvres déjà tendues de la mère restèrent en suspens. Puis, se ravisant, elle se retourna vers sa mère.

–        Maman, est-ce que je vais guérir ?

–        Oui, ma chérie, répondit Marie d’une voix brisée.

Elle se leva et passa dans la cuisine. La fenêtre donnait sur la vallée et elle risqua un regard. Au loin, la vague rouge feu avait encore gagné du terrain. Elle abordait la combe et avait déjà absorbé le bosquet de noisetiers. Le ciel devenait rouge brique, presque noir à l’horizon.

Marie alluma un réchaud, remplit une casserole de lait et la posa sur la flamme. Il y avait encore du gaz, pour combien de temps ? Autant l’utiliser maintenant. Quand le liquide fut à la bonne température elle le versa dans un bol, y mit quelques morceaux de sucre et le porta à la fillette.

–        Redresse-toi un peu, et bois ça. Ça te fera du bien.

La fillette se dégagea de ses couvertures et tendit les mains vers le bol. En même temps elle tourna son regard vers la fenêtre.

–        Maman, le ciel a une drôle de couleur.

–        Ce n’est rien. Bois ton lait.

La fillette empoigna le bol et but lentement. Quelques gouttes coulèrent de part et d’autre de ses lèvres et se faufilèrent dans le col de sa chemise. Marie prit une serviette et épongea doucement le liquide.

–        Merci, maman, dit-elle en lui rendant le bol vide.

Et elle s’enfonça à nouveau dans son lit et tourna son visage. Elle semblait moins crispée, apaisée après ce breuvage réconfortant.

–        Maman, quel jour est-on ?

Bien que la question sembla banale, Marie ne répondit pas immédiatement.

–        C’est le dernier jour, mon enfant.

Sans attendre une réponse quelconque, Marie se leva et passa dans sa chambre. Elle s’était déplacée sans raison, stratagème irréfléchi pour faire diversion à une pensée inopportune. Aller là, ou ailleurs, quelle signification ? Et pourquoi avait-elle répondu ça à son enfant ? Elle se sentit prise dans un étau qui se resserrait insensiblement. Une pression tenace, impitoyable, qui finirait par l’écraser, elle, sa fille et tout le reste. Jusqu’à…

Dans sa chambre son regard tomba sur le crucifix. Lui aussi avait été broyé, écrasé par une force maléfique. Écrasé jusqu’à l’anéantissement… Mais elle se rappelait aussi qu’après sa passion survint sa Résurrection glorieuse. Elle savait aussi qu’après le grand feu purificateur de la fin des temps le Fils de l’Homme allait apparaître, venant sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande majesté !

Pour autant, il fallait vivre cet instant présent.

Elle tomba alors à genoux face au crucifix et s’écria de tout son cœur : « C’est l’heure, venez, Seigneur Jésus ! »

Un moine du Barroux