Conférence de Mgr. Nicolas Brouwet (Evêque auxiliaire de Nanterre) donnée lors de l’Université d’Automne de Notre Dame de Chrétienté le Samedi 20 novembre 2010

 

Il m’a semblé évident de commencer cette intervention en repartant de la grande encyclique de Jean-Paul II « Evangelium Vitae ». Je propose d’en rappeler quelques grandes lignes.

A. Caractéristiques de la culture de la vie : « Evangelium Vitae »

Recevoir la vie : nous devons avoir un regard contemplatif, regard contemplatif qui nous permet d’accueillir la vie comme un don (et non pas être tout de suite dans la maîtrise) ; dans son discours du 1° janvier dernier, Benoît XVI rappelait que celui qui ne voit plus la Création que comme le seul fruit du déterminisme ou de l’évolution ne sait plus accueillir la Création comme un don. Il ne sait plus que l’asservir par la technique en lui imposant ses désirs et ses lois. Cette remarque s’applique d’abord à l’accueil de la vie humaine. Un regard contemplatif est un regard qui sait (ou qui réapprend à) s’émerveiller devant le don de toute vie humaine. A partir de là on peut voir la personne humaine dans sa gratuité et dans sa beauté (et non en cherchant d’abord l’efficacité et la rentabilité : qu’est-ce qu’elle va me coûter ou coûter à la société ?) Voir la personne dans sa dépendance constitutive (et non en terme d’indépendance, d’autonomie). Voir le bien-être de la personne en terme spirituel et relationnel et non seulement en terme matériel.

Vous voyez comment ce regard contemplatif qui apprend à recevoir l’autre va beaucoup plus loin que la seule question du respect de la vie naissante ou de la fin de la vie humaine. Il s’applique à la manière dont nous apprenons à recevoir notre prochain. Avec cette question cruciale : comment je regarde celui qui me gêne, celui qui n’est pas prévu, celui qui « débarque » dans ma vie, celui que je n’attendais pas ? C’est, en particulier, la question de l’hospitalité (comment la vivons-nous dans la famille ? Comment les enfants sont-ils éduqués à cela ?)

 

Faire de sa vie un don de soi, un service de son frère : accepter d’être « le gardien de son frère », d’être responsable de son frère. « Que personne ne cherche son propre intérêt mais celui d’autrui » (1 Co 10, 24). C’est la dimension sociale de l’existence. Nous sommes donnés les uns aux autres. Notre anthropologie est une anthropologie du don. Le bonheur de l’homme se trouve dans le don de soi. Pour chercher le bien de l’autre par le service.

 

Organiser la société à partir d’une réflexion sur la vérité de ce qu’est la personne humaine et non sur une négociation entre des désirs et des intérêts particuliers où prévaudra finalement la loi du plus fort.

 

L’engagement pour la vie ne se fera pas seulement individuellement mais dans la mise en place de structures.

 

B. Il faut à ce stade rappeler les convictions de l’Église

Première conviction : Toute personne humaine est sacrée.

Parce qu’elle a été créée par Dieu à son image. Elle doit être respectée dès sa conception. Nous reconnaissons à l’être humain, dès sa conception, les droits de la personne, en particulier, le droit à la vie.

Tout est déjà donné, en particulier le patrimoine génétique. Cet embryon n’est pas seulement un amas de cellules. Il sera un jour une personne sans qu’il y ait de changement de nature.

L’être humain possède donc une pleine qualification anthropologique et éthique dès sa conception. La dignité de la personne humaine ne dépend alors ni du projet parental, ni de la condition sociale, ni du stade de croissance physique, ni de l’état de santé, de la beauté, de l’intelligence, car la personne humaine est digne d’être aimée pour elle-même.

Voilà pourquoi on reconnaît à l’embryon l’ensemble des droits de la personne humaine. Personne ne peut se rendre maître de la vie humaine ; elle n’appartient qu’à Dieu. Cette dignité absolue de la personne humaine peut être comprise par des non-croyants ; parce que chacun peut comprendre que personne ne peut disposer de la vie d’un autre. Voilà pourquoi l’avortement n’est jamais acceptable. En aucun cas. Rien ne peut justifier de supprimer une vie humaine.

C’est ce qui est le plus difficile à comprendre aujourd’hui. Il faut prendre en considération les détresses humaines ; en particulier la détresse d’une femme qui ne pourra pas élever son enfant. Mais jamais cette détresse ne peut justifier l’avortement. Quelles sont nos principales difficultés ? D’une part dire cela avec douceur, sans colère (en cette matière, la colère ne parvient pas à convaincre), d’autre part offrir des alternatives aux femmes enceintes (foyers d’accueil, adoptions, accompagnement face à l’angoisse).

Il faut signaler également que l’avortement semble tolérer par beaucoup si l’enfant est porteur d’un handicap. L’intervention médicale de grossesse peut se faire jusqu’au dernier stade de la grossesse. Notre société a beaucoup de difficultés à accueillir le handicap. Beaucoup de parents veulent des enfants parfaits qui n’ont aucune anomalie (en particulier sur le visage). Le Rapport final des états généraux des citoyens de juillet 2009 affirme que « La solution au
handicap passe exclusivement par la recherche sur les maladies et non par l’élimination » (p. 30). Une des formes de l’engagement en faveur de la vie est d’accompagner la vulnérabilité des parents qui apprennent le handicap de leur enfant à naître (ex : La fondation Jérôme Lejeune). Il y a aussi la vulnérabilité des équipes médicales qui partagent la peur et l’insécurité de notre société face au handicap. Le Rapport des états généraux rappelle que « le consentement libre et éclairé constitue l’un des principes cardinaux des lois de bioéthique ». Mais qu’est-ce qu’un consentement libre et éclairé ?

Une information doit dire la dignité personnelle de l’enfant à naître. Les informations ne doivent pas être seulement techniques, biomédicales. Comment, par exemple, des aumôniers d’hôpitaux peuvent-ils participer à cette information ? Il faudrait aussi un accompagnement des parents par des associations de parents d’enfants malades. Voilà des engagements possibles. Un vaste champ d’initiative est ouvert là.

Nous voyons bien que c’est là que se situe la tentation de l’eugénisme. Le diagnostic prénatal a un objectif avant tout curatif. Mais il est devenu, peu à peu, un outil de dépistage qui favorise une mentalité eugénique, c’est-à-dire de sélection des enfants à naître. C’est ainsi que l’on élimine 96% des embryons ou foetus porteurs de la trisomie 21. Dans « Evangelium Vitae », le Vénérable Jean-Paul II écrit que « ces techniques (du diagnostic prénatal) sont moralement licites lorsqu’elles ne comportent pas de risques disproportionnés pour l’enfant et pour la mère, et qu’elles sont ordonnées à rendre possible une thérapie précoce ou encore à favoriser une acceptation sereine et consciente de l’enfant à naître » (EV63).

On a parlé de la détresse des femmes enceintes qui ne savent pas comment garder leur enfant. Il faut parler, à mon avis, d’une plus grande détresse : celle des femmes qui ont pris la décision de l’avortement, y compris pour des raisons médicales. La culture de la vie  doit pouvoir aider les femmes à affronter la vérité et à accueillir la miséricorde du Seigneur (ex : Mère de Miséricorde). Il serait important de pouvoir rompre le silence à ce sujet. Et que des femmes (et pourquoi pas des hommes) puissent témoigner de ce traumatisme d’avoir contribué à éliminer son enfant.

 

Une deuxième conviction : La personne humaine n’est jamais due.

Autrement dit, il n’y a pas de droit à l’enfant. L’enfant a des droits. En particulier le droit à la vie. Mais il n’est jamais dû.

Vous savez que l’Église encourage la recherche pour vaincre les différentes formes de stérilité. Elle permet aussi les procédés qui peuvent aider à la procréation sans se substituer à l’acte conjugal. En revanche elle considère que la fécondation in vitro, qui se substitue totalement à l’acte conjugal, ne respecte pas la dignité de la personne humaine. Parce que la personne ne doit pas être le produit d’une manipulation en laboratoire, d’un simple acte technique.

Par ailleurs, il y a un véritable attentat à la vie dans le fait de congeler des embryons humains. On les congèle pour pouvoir les réimplanter dans l’utérus si une première implantation n’a pas eu de résultats. Notons que le transfert d’embryons et l’insémination post-mortem demeure interdite dans le projet de loi relatif à la bioéthique présenté par le gouvernement.

Une question se pose à propos de la proposition de lever l’anonymat du donneur (proposé dans le projet de loi relatif à la bioéthique). Cette levée de l’anonymat est un progrès dans la prise en compte de l’intérêt de l’enfant ; elle répare une injustice qui lui est faite : celle de ne pas connaître son père biologique. Pour protéger le donneur (ce que l’on comprend aussi très bien parce qu’on protège ainsi la vie privée), on propose une levée partielle de son anonymat en fournissant des données non identifiantes (âge, état de santé, caractéristiques familiales, catégorie socio-professionnelle, nationalité, motivation du don).

On voit comment l’AMP avec tiers donneur se révèle une véritable impasse au bout de quelques années. 9% des FIV le sont avec tiers donneur ; soit 1313 sur 14487 FIV en 2007. Signalons que, dans le projet de loi, la gestation pour autrui (les mères-porteuses) n’est pas envisagée.

 

Une troisième conviction : La personne humaine n’est jamais un moyen en vue d’une autre fin.

La vie humaine n’est pas disponible au sens où elle n’est pas à notre disposition pour parvenir à des objectifs aussi généreux soient-ils. Le projet de loi entérine la conservation d’embryons comme une pratique clinique et biologique. Il suffit qu’il n’y ait plus de projet parental sur ces embryons (environ 50% des embryons congelés ne font plus l’objet d’un « projet parental ») pour qu’on puisse utiliser les cellules souches de ces embryons. Notez que prélever une cellule souche sur un embryon humain cause sa destruction. La notion de « projet parental » a été créée justement face à la surproduction d’embryons qui ont été congelés. Il est assez étrange de constater que l’embryon n’a pas de statut. Il n’est ni une personne, ni une chose, deux catégories du droit français. Le Rapport des états Généraux le voit comme « un être encore en puissance » ou une « personne potentielle ». De déplacement sémantique en déplacement sémantique, on finit par instrumentaliser la personne humaine.

Les articles 23-24 du projet de loi maintiennent l’interdiction de la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires humaines. Mais il existe une possibilité de déroger à ce principe. Il faut que la recherche soit susceptible de « permettre des progrès médicaux majeurs ». Le progrès médical est d’ailleurs ici plus qu’une simple thérapie ; il comprend aussi la prévention et le diagnostic d’une maladie. Ce qui pourrait ouvrir la porte à l’utilisation des cellules souches pour la recherche fondamental. L’embryon qui ne fait plus l’objet d’un projet parental est donc transformé en matériau pour la recherche.

C’est vraiment une instrumentalisation de la vie humaine. Par ailleurs, on ne parle pas des cellules souches adultes et des résultats déjà obtenus avec du sang de cordon.

 

Quatrième conviction : La vie doit être préservée jusqu’à la mort naturelle.

Les soins palliatifs, développés en France depuis déjà 25 ans, sont une réponse à cette exigence. Ce sont des soins actifs et continus, donnés à des personnes qui ne pourront plus guérir, et qui visent à la fois, à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade, et à accompagner son entourage.

Les soins palliatifs (le pallium est un manteau protecteur) sont pratiqués dans des institutions et à domicile. Ils ne hâtent, ni ne retardent le décès. Ils ne sont ni euthanasie, ni acharnement thérapeutique. Ils cherchent à préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la mort naturelle : une vie où l’amour, la communion, la relation peuvent être exprimés jusqu’au bout. Les soins palliatifs sont un moyen de vivre jusqu’au bout dans la dignité.

 

Cinquième conviction : La société doit protéger le plus faible.

Et en particulier celui qui ne peut pas parler, celui qui n’a aucun recourt, celui qui est le plus vulnérable. C’est là-dessus que repose la confiance. Parce que si le plus faible est protégé, alors personne n’a rien à craindre. Si, en revanche, la société écarte le plus faible, alors celui qui est situation de détresse se demandera : « A quand mon
tour ? ».

 

C. L’engagement pour la vie

Il y a évidemment l’engagement de type politique. Pour que les lois de la République soient le plus conforme au respect de la vie humaine. On se souvient de la note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 24 novembre 2002 qui dit : « Quand l’action politique est confrontée à des principes moraux qui n’admettent ni dérogation, ni exception, ni aucun compromis, l’engagement des catholiques devient plus évident et se fait lourd de responsabilités. Face à ces exigences éthiques fondamentales auxquelles on ne peut renoncer, les chrétiens doivent en effet savoir qu’est en jeu l’essence de l’ordre moral, qui concerne le bien intégral de la personne. Tel est le cas des lois civiles en matière d’avortement et d’euthanasie (à ne pas confondre avec le renoncement à l’acharnement thérapeutique qui, même du point de vue moral, est légitime), qui doivent protéger le droit primordial à la vie, depuis sa conception jusqu’à sa fin naturelle. De la même manière, il faut rappeler le devoir de respecter et de protéger les droits de l’embryon humain. » (§4).

A ce sujet, même si la loi de 1975 autorisant l’interruption volontaire de grossesse est une loi inique, je ne crois pas que l’engagement politique en faveur de la vie consiste seulement (ou même en premier lieu) à demander l’abolition de la Loi Veil. Il y a aussi tout un travail à faire pour que soit offertes des alternatives à l’avortement. Pour que l’on puisse proposer aux femmes de garder leur enfant, ou en tous cas, de mener à terme leur grossesse. Il faut que les services sociaux puissent offrir d’autres solutions que l’avortement.

 

Mais il y a aussi un gigantesque travail pour favoriser la culture de la vie.

Le problème de fond n’est pas d’abolir la Loi Veil mais de la rendre inutile. Or un rapport de l’Igas d’octobre 2009 disait « L’IVG est loin d’être un élément exceptionnel dans la vie des femmes. Sur la base des données actuelles on estime que près de 40% des femmes auront recours à l’IVG dans leur vie qui peut connaître des situations à risques. Elle constitue une composante structurelle de la vie sexuelle et reproductive et doit être prise en charge en tant que telle … L’IVG n’est pas non plus l’exclusivité d’une population « à risque » aux caractéristiques bien définies qui y aurait recours de façon répétée. Tous les professionnels rencontrés par la mission dans les services de gynécologie, d’obstétrique et d’orthogénie soulignent l’existence d’une seule et même population : les femmes demandeuses d’IVG à un moment donné seront ou ont été leurs parturientes à une autre phase de leur vie. »

Je voudrais en conclusion revenir sur la note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 24 novembre 2002 qui continuait en disant : « La foi en Jésus Christ, qui s’est présenté lui-même comme «la voie, la vérité et la vie» (Jn 14, 6), demande aux chrétiens un effort pour participer, avec un plus grand engagement, à l’édification d’une culture qui, inspirée de l’Évangile, propose à nouveau le patrimoine de valeurs et de contenu de la Tradition catholique. (…) Il ne suffit pas de penser, et ce serait réducteur, que l’engagement social des catholiques puisse se limiter à une simple transformation des structures, car, si à la base il n’y a pas une culture capable de recevoir, de justifier et d’envisager les exigences qui découlent de la foi et de la morale, les transformations reposeront toujours sur des fondements fragiles. » (§7).

Il y a donc un engagement politique et un travail législatif nécessaire. Mais il serait sans effet s’il n’était pas soutenu – et même précédé – par une culture de la vie, en particulier dans l’éducation, dans le regard porté sur les autres, dans un engagement social effectif.

 

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